[Coup de gueule] Adieu Marianne

Bonjour à tous,

 

Les apparences sont trompeuses. Tenez, par exemple, le fait de n’avoir rien publié depuis un moment pourrait faire croire que je délaisse ce blog et ne trouve plus rien à vous dire, expliquant pourquoi je ne parviens pas à publier un billet par semaine comme prévu. Mais non. Que nenni. J’ai plein d’articles dans mes cartons. J’en ai un nouveau sur le cinéma, une recette de cuisine qui va vous épater, l’avenir du sport automobile…

Et pourtant, ces billets presque achevés devront rester dans les cartons un petit moment, parce qu’hier soir je suis tombé sur un article qui m’a fait fermer l’application Marianne, mais ouvrir ma gueule.

Oui, le magazine Marianne, jusqu’alors mon magazine préféré, celui que je ne manquais jamais d’acheter à l’aéroport lors de mes rares passages par notre beau pays des fromages qui puent, celui dont le site internet a bien 10 ans de retard, mais que je continuais à consulter de temps en temps à défaut de pouvoir acheter la version papier, celui fondé par Jean-François Kahn et Maurice Szafran, aujourd’hui dirigé par Joseph Macé-Scaron, ce magazine n’est pas celui que je croyais.

Tenez, prenez leur couverture de cette semaine :

Europe, chômage, économie, Alstom, LE RETOUR DE LA PENSÉE UNIQUE, arrêtez de nous dire qu’il n’y a pas le choix !

Voilà le genre de pensée qui anime Marianne, l’anti TINA (there is no alternative – il n’y a pas d’alternative), les idées divergentes, le débat contradictoire (le vrai, pas celui de la télé), pas d’idéalisme mais des idéalismes… Non, je déconne, Marianne c’est le bordel. Torchon de gauchistes pour les gens de droite, de larbins du capitalisme qui ne s’assument pas pour les gens de gauche (les vrais, pas ceux du PS), de « dans le premier train pour la Pologne lorsque nous serons au pouvoir » pour nos amis les bêtes du FN. Il faut reconnaître qu’au sein de la rédaction, les convictions divergent (je résisterai à la tentation du jeu de mot facile) : en 2007, sous l’impulsion de JFK (J-F Khan, hein) le journal soutenait la candidature de Bayrou, en 2012, un vote interne place Hollande en tête (40 %), suivi de Mélenchon (32 %) et enfin Bayrou et Dupont-Aignan à égalité à 8,3 %. Ces divergences faisaient le sel du magazine, d’une page à l’autre, au détriment d’une ligne éditoriale claire, mais au profit d’un sentiment de pluralisme de la pensée pour le lecteur. Évidemment, le magazine papier comme le site internet se sont cassés la gueule, victime entre autres de ce mélange des genres difficile à canaliser. C’est d’autant plus flagrant depuis le départ de JFK et son ralliement au Modem. On peut ne pas aimer le mec, mais il a le mérite d’être cohérent… lui. Après plusieurs revirements à la tête de la rédaction, on sent poindre une idéologie commune, et c’est là le cœur de mon chagrin d’amour : le populisme europhobe.

Je ne vais pas vous mentir et vous le savez sans doute, je suis un europhile, un eurobéat, un euro-neuneu et tout autre sobriquet que l’on aime à donner aux gens comme moi à (l’extrême) gauche comme à (l’extrême) droite. Là n’est pas le problème, je ne suis pas idiot au point de penser que l’Union européenne est parfaite en l’état et qu’il n’y a rien à changer, bien au contraire et comme TOUT LE MONDE. J’ai le même avis sur la France, la région PACA, les Bouches-du-Rhône ou mon village d’origine. J’ai simplement la conviction que ce n’est pas en rejetant le système que l’on améliorera le sort des Européens (en effet, je pense aux Européens dans leur globalité et je me fous du sort de la France dans son coin si ce n’est pas dans un contexte global) et que l’on parviendra à créer l’Europe des peuples. Mais encore une fois, ce n’est pas le débat, j’accepte en bon démocrate la contradiction eurosceptique et je ne crois évidemment pas détenir la vérité absolue.

Par contre il y a quelque chose que je n’accepte pas, quelque chose qui me fout hors de moi, quelque chose qui fait que j’ai les dents du fond qui baignent et c’est cela :

http://www.marianne.net/Vote-biloute-vote-_a238628.html

Cet article est signé d’un certain Kévin ERKELETYAN, journaliste à Marianne et ancien de Science (pi)po Bx (Bordeaux, j’imagine ?) et CFJ (école de journalisme parisienne, je présume) selon son profil Twitter. Comme dirait Jodorowski, je vous fais el topo (vous l’avez ?) :

L’association Européens sans frontières a lancé une campagne de lutte contre l’abstention aux élections européennes en diffusant des petites vidéos mettant en scènes des personnalités françaises  bénévoles (Dany Boon, Guillaume Galienne, Kyan Khojandi, etc.) incitant les citoyens à voter. Je ne jugerai pas de la qualité des dites vidéos, ni de leur impact (diffusées sur Euronews et BFM TV, tu parles d’une propagande…) ni des textes.

K.E. parviendrait presque à faire passer son billet pour un article d’investigation à la Mediapart. Il révèle, sous vos yeux ébahis, que cette association est financée à 40 % par la Commission européenne. Non vous ne rêvez pas, la CE finance une association faisant campagne pour inciter les gens à voter, et en plus en disant du bien de la construction européenne !!! Vous ne tombez pas de votre siège à la lecture de cette révélation fracassante ? Non, moi non plus.

Par contre accrochez-vous pour la suite, gardez une bassine à proximité et éloignez les enfants.

Nouvelle déclaration choc : « (…) une association qui milite… pour le droit de vote des étrangers communautaires, à toutes les élections, y compris nationales, du pays dans lequel ils résident ». Donc en gros une association qui milite pour quelque chose qui est déjà en place (droit de vote en France des citoyens européens aux élections locales) et comble de l’horreur qui voudrait les faire voter aux élections générales du pays où ils résident, paient leurs impôts, où ils élèvent leurs enfants, etc. Et on ne parle pas de tous les étrangers, mais des citoyens européens. Pour un journal de gauchiste, la prise de position contre le droit de votes de étrangers, même communautaires, est pour le moins surprenante… mais s’il n’y avait que ça.

Je passe sur les petites piques rappelant l’inclinaison fédéraliste de l’association en question (il faut croire que c’est un gros mot), ou la critique de Jean-Christophe Victor (présentateur de la magnifique émission « Le dessous des cartes ») qui, selon l’auteur, a « fini par en oublier les frontières ». On comprend bien que K.E. n’est pas vraiment un militant de l’Europe des peuples sans frontières, main dans la main et autres joyeusetés qui étaient autrefois au cœur de l’idéologie de gauche. Ça ne me pose pas de problème, ceci dit (Brahim – et celle-là vous l’avez ?), encore une fois, c’est plutôt là le discours de Dupont-Aignan – pour ne pas aller un poil plus à droite.

Puis vient le bouquet final, en deux parties, tenez-vous bien :

Son logo est un drapeau, européen, dont les étoiles ont disparu. Remplacées par un cercle jaune, pour signifier la belle et grande union rêvée. Elle veut « encourager les médias à se former sur les questions européennes pour accroître la visibilité des messages européens de qualité (…) dans le but de toucher des populations ayant peu l’occasion d’entendre parler d’Europe. »

Le voilà donc le critère de sélection : racoler l’icône des Ch’tis pour mieux persuader le prolo que voter c’est bien, et surtout vachement mieux que s’abstenir. (…) Alors vote, biloute, vote ! Peu importe où, peu importe pour qui, l’essentiel c’est de participer.

Non vous ne rêvez toujours pas. L’auteur, que j’appellerais volontiers journaliste s’il ne semblait pas plutôt être un communiquant (on y reviendra), déplore que l’Europe veuille informer le peuple, les « prolos », sur les questions européennes. Pire, en plus de les informer, les encourager à aller voter !!! J’ai relu l’article trois fois, de peur de l’avoir mal compris, et pourtant, malgré un style d’écriture presque Libé (c’est pas vraiment une qualité pour moi, voire vraiment pas), le message est on ne peut plus clair : « ah les salauds de l’UE, qui n’est pas démocratique, veulent encourager les gens à exercer leur devoir de citoyen ».

C’est pour moi du jamais vu, un article sarcastique qui reproche l’encouragement de ce qui constitue la base de nos démocraties, le vote. Même chez les Le Pen, ils n’ont pas osé, chez Mégret non plus… Avec au passage une condescendance à vomir pour les « prolos » et leur vote. Alors, je sais, l’abstention est aussi un droit, je ne le conteste pas. Et puis j’ai compris. Je suis allé voir un autre article du même auteur, recueillant les propos du président du MRC (Mouvement républicain et citoyen) qui milite pour l’abstention aux européennes. Ce mouvement, groupuscule plus que parti, milite pour la sortie de l’Union Européenne, de l’euro, de l’OTAN, veut couper les ponts avec Bruxelles mais se verrait bien traiter avec des pays d’Europe de l’Est… comme la Russie. En lisant cela, vous vous dites sans doute « ah ouais encore un parti d’extrême-droite ». Il faut dire qu’il y a là tout le programme de la dynastie Le Pen (y compris l’hystérie sur le vote des étrangers) et de leur pote Dupont-Aignan. (Ce dernier les courtisait déjà en 2012, puis en 2013 (ah tiens, dans Marianne), avant de changer de cap juste avant les européennes.)

Eh bien non. Vous n’y êtes pas. Le MRC est un mouvement qui se dit… de gauche. J’ai alors tapé « abstention » dans le moteur de recherche du site Marianne. La première page renvoie à une dizaine d’articles militant pour l’abstention aux européennes (par Emmanuel Todd et d’autres). Je n’en revenais pas. Sans que je m’en aperçoive, mon journal préféré a pris une position qui me semble totalement à l’opposé des conceptions démocrates et/ou républicaines de la politique. Un seul article vient sauver la mise, écrit par un agrégé d’histoire et deux doctorants (issus de l’ENS), et militants (tenez-vous bien) au Parti de Gauche, au fameux MRC (donc en opposition avec son parti) et à Debout la République. Quand je vous disais que c’était le bordel. Je vous encourage à lire l’article, dont je ne citerai que la conclusion :

Le 25 mai, le peuple français pourra rejeter les politiques menées en dépit du bon sens depuis plusieurs décennies. Les anciens partis refusent de marcher avec le peuple ? Le peuple marchera sans eux, en dehors d’eux et, finalement, contre eux. Nul besoin pour cela de s’abstenir ou de voter FN. À gauche comme à droite, il existe aujourd’hui des alternatives républicaines. La diversité des listes de rupture permettra à chacun de voter pour celle dont il se sent le plus proche. 

Une simple goutte dans l’océan abstentionniste qu’est devenu Marianne. Ce même océan où l’on déplore les succès du FN dus à l’abstention… en France. À croire qu’ils veulent voir le FN cartonner aux européennes pour décrédibiliser toute la construction européenne.

Maintenant relisez le titre en couverture de cette semaine et riez un bon coup (jaune pour ma part).

Être contre l’Union européenne telle qu’elle est, soit, mais faire croire aux « prolos » (qui te passent le bonjour, Kévin Erkeletyan) qu’ils n’ont que le choix entre l’UMPS (pour reprendre le jargon frontiste, vu que ça se fait même à l’extrême gauche) et le FN est au mieux une bêtise crasse, au pire une arnaque intellectuelle.

Sur ce Marianne, ma chérie, tu peux prendre ce billet comme une lettre de rupture. Tu as trop changé, ou peut-être est-ce moi qui me suis voilé la face pendant tout ce temps. Qu’importe, je me sens trompé, utilisé, trahi, mais peut-être est-ce ma faute que de t’avoir fait une confiance aveugle. J’irai me consoler dans les bras de mes semblables, les Bisounours europhiles, car l’Europe, je vais continuer de la vivre au quotidien, sans toi bien au chaud dans ton Xème arrondissement de Paris. Adieu Marianne.

Salope.